
Compte tenu de la complexité et de l’envergure du secteur de la construction, les experts ont à la fois des raisons d’espérer et de s’inquiéter à l’horizon 2025.
Par / Robin Brunet
Le principal facteur influençant la manière dont les professionnels de la construction au Canada envisagent les 12 prochains mois est la conjoncture économique avec, d’une part, une inflation en baisse et une forte demande, mais d’autre part, l’incertitude liée à l’application imminente de tarifs douaniers par les États-Unis et à d’autres évolutions.
Tristan Bertram, directeur des Affaires sectorielles au sein de l’ACIT, résume les sentiments mitigés de ses collègues.
« De toute évidence, tout le monde a du travail grâce à d’énormes projets d’infrastructures tels que la construction du terminal de GNL de Kitimat, en Colombie-Britannique, et le projet Path2Zero de Dow à Fort Saskatchewan, en Alberta, pour ne citer que deux exemples », explique-t-il. « L’activité en Ontario est tout aussi dynamique, et un grand nombre de travaux d’infrastructure marine sont en cours dans les Provinces maritimes. »
En ce qui a trait exclusivement à son domaine d’expertise, M. Bertram ajoute : « Mais notre plus gros problème est que nous n’avons pas assez de gens de métier qualifiés pour se charger de tous ces travaux. Un grand nombre de nos calorifugeurs approchent de la retraite et nos programmes d’apprentissage ne suffisent pas pour remédier au manque de main-d’œuvre. »
Le secteur canadien de la construction, composé à 91 % de petites et moyennes entreprises, emploie plus de 1,6 million de personnes et contribue à hauteur de 7,5 % au produit intérieur brut du Canada. Cette année, le secteur devrait se remettre du ralentissement de 3,1 % enregistré en 2024 et afficher un taux de croissance annuel moyen de 2,2 %, grâce aux investissements gouvernementaux dans les transports, les énergies renouvelables, les soins de santé et l’éducation, ainsi qu’à une reprise progressive du marché résidentiel.
Rodrigue Gilbert, président de l’Association canadienne de la construction, estime que le secteur est sur le point de connaître des transformations, induites par les avancées technologiques, la transition démographique et l’évolution du contexte réglementaire.
À titre d’exemple, il cite le modèle de réalisation de projet intégrée (RPI), qui encourage la collaboration entre les entrepreneurs, les architectes et les propriétaires d’ouvrages et permet de réduire considérablement les délais de livraison. « Si nous voulons être plus efficaces en tant que corps de métier et lutter contre le changement climatique, il faudra résolument adopter tous les modèles de livraison collaboratifs », déclare-t-il. « La RPI est de plus en plus utilisée dans de nombreuses juridictions et tous ceux à qui nous en parlons s’y intéressent beaucoup et veulent en savoir plus. »
M. Gilbert souligne également qu’Ottawa est en train de réviser le Code national du bâtiment afin d’améliorer l’efficacité énergétique, ce qui pourrait nécessiter des investissements supplémentaires. « La bonne nouvelle est que cela va générer d’excellentes opportunités pour les membres de l’ACIT, car ce sont eux qui détiennent en grande partie la solution pour atteindre des normes énergétiques rigoureuses », dit-il.
M. Gilbert propose également des solutions envisageables pour remédier à nos problèmes sociaux les plus pressants. « Je pense que l’habitat modulaire a un fort potentiel et cette solution est encouragée par la Stratégie nationale sur le logement du Canada », affirme-t-il. « Nous discuterons de cette possibilité avec les différents niveaux de gouvernement cette année, car l’adoption généralisée de ce type de logement pourrait nécessiter des changements sur le plan de la réglementation et des chaînes d’approvisionnement. »
Sean Strickland, directeur général des Syndicats des métiers de la construction du Canada (CBTU), tient à aborder la question de la main-d’œuvre. « Pendant trop longtemps, nous avons entendu dire que nous étions confrontés à un manque de main-d’œuvre, ce qui n’est tout simplement pas vrai », déclare-t-il. « Chaque année, le Canada accueille 300 000 nouveaux apprentis; ce ne sont donc pas les nouveaux talents qui font défaut. »
M. Strickland poursuit : « La pénurie concerne des compétences spécifiques, qui varient en fonction de l’envergure et du type de projet, ainsi que de l’emplacement de l’ouvrage, entre autres facteurs. Ce dont nous avons vraiment besoin, c’est de données scientifiques pour comprendre avec précision où trouver des travailleurs qualifiés et où les déployer. »
Pour cela, le CBTU communique de plus en plus étroitement avec des maîtres d’ouvrages plus importants, pour connaître le type et la quantité d’ouvriers qualifiés dont ils ont besoin, et savoir où et quand ceux-ci doivent être déployés.
« C’est comme cela que, par exemple, nous avons pu éviter la pénurie de main-d’œuvre dans le cadre d’un grand projet récent dans le sud de l’Ontario, parce que nous avons pu faire venir des travailleurs d’autres provinces », explique M. Strickland. « Pour mémoire, plus de 7 500 artisans canadiens ont effectué près de 5,7 millions d’heures-personnes de construction depuis le lancement du projet, en 2022. »
M. Gilbert reconnaît qu’il est nécessaire d’obtenir davantage de données scientifiques « Et franchement, je pense que c’est au gouvernement fédéral de faire cela », dit-il.
« Très franchement, je pense que le gouvernement fédéral doit s’atteler à cette tâche. Cependant, je m’inquiète du fait que plus de 30 % des travailleurs de la construction approchent de l’âge de la retraite et que ce pourcentage ne fera qu’augmenter dans les années à venir. Les acteurs du secteur et les agences gouvernementales devront redoubler d’efforts pour encourager les carrières dans la construction, et nous devons également nous concentrer sur la manière de retenir les travailleurs ».
Lorsqu’on lui a demandé son avis en janvier, M. Strickland a déclaré que la plus grande préoccupation de son organisation était la menace du nouveau président des États-Unis, Donald Trump, d’imposer des droits de douane de 25 % au Canada : « C’est une grave inquiétude, et cela pourrait couper l’herbe sous le pied d’une économie canadienne par ailleurs robuste et riche en opportunités », déclare-t-il.
Ian Cunningham, président et directeur de l’exploitation du Council of Ontario Construction Associations, reconnaît que les menaces liées aux droits de douane sont inquiétantes, tout comme les incertitudes liées à l’électrification qui remettent en question plusieurs énormes projets d’usines de batteries. Il a également l’impression que les gouvernements locaux et les différentes agences locales ne sont pas pressés de simplifier l’octroi des permis. « Mais chaque fois que je fais référence à ce genre de chose, je précise toujours que ‘ça dépend’, car il est impossible de prédire avec certitude ce à quoi notre secteur pourrait être exposé, en bien ou en mal », souligne-t-il.
Quoiqu’il en soit, M. Cunningham préfère se concentrer sur les aspects positifs. « Dans l’ensemble, notre secteur exerce un fort pouvoir de lobbying et, dans ma province, nous avons récemment assisté à des évolutions positives, telles que des amendements à la Loi sur la construction, qui concernent notamment un accès plus large à l’arbitrage, et le cas de Métiers spécialisés Ontario, qui s’apprête à reprendre les responsabilités du gouvernement en matière d’enregistrement des apprentis et à simplifier le processus ».
M. Cunningham parle au nom de nombreux acteurs du secteur de la construction lorsqu’il déclare : « Nous faisons indéniablement face à des vents contraires, mais nous pouvons adopter des solutions telles que le logement modulaire pour remédier aux pénuries dans le pays, et continuer à intégrer l’intelligence artificielle pour alléger le fardeau lié aux coûts. Je pense que nous devons garder à l’esprit que le Canada continuera à avoir un grand besoin de main-d’œuvre dans les années à venir, alors travaillons ensemble pour être plus efficaces et tirer le meilleur parti de la situation. » ▪