par Matthew T Potomak et Liam M Robertson, Kuhn LLP
Il est courant, pour des parties impliquées dans un conflit juridique, d’être en désaccord sur les conditions d’un contrat. En revanche, il est plus rare que les parties remettent en cause la formation même d’une obligation contractuelle, en particulier après avoir manifesté leur intention d’exécuter ladite obligation. Dans une affaire récente, Rumpel Construction Ltd. c. Western Construction Company Ltd., 2022 BCSC 980, le tribunal a évalué, en analysant le comportement des parties, la mesure dans laquelle une obligation contractuelle concernant un appel d’offres avait été effectivement formée.
Les faits :
Le plaignant, Rumpel Construction Ltd. (« Rumpel ») est un entrepreneur en charpentes.
Le défendant, Western Canadian Construction Company Ltd. (« Western »), est l’entrepreneur principal d’un projet de construction d’immeubles résidentiels à Victoria, Colombie-Britannique (le « projet »).
Rumpel et Western conviennent, d’une manière générale, que les évènements se sont déroulés comme suit :
a. Western a fourni à Rumpel un « dossier d’appel d’offres » contenant les plans détaillés du projet;
b. Rumpel a formulé ses commentaires sur les plans du projet, et Western lui a alors remis un « dossier d’appel d’offres » mis à jour, contenant des instructions de soumission;
c. Rumpel a envoyé à Western un devis pour le projet;
d. Western a déclaré vouloir « aller de l’avant » avec Rumpel en tant qu’entrepreneur de charpentes pour le projet;
e. Rumpel a rencontré Western sur le chantier à plusieurs reprises pour discuter de la progression et des échéances du projet;
f. le projet a été retardé plusieurs fois avant que Rumpel n’ait commencé les travaux de charpente;
g. jusqu’au 25 juillet 2019, Western a été en contact avec Rumpel concernant la livraison du bois de charpente pour le projet;
h. le 1er août 2019, Western a informé Rumpel qu’il se rétractait et que la proposition de réaliser la charpente pour le projet était révoquée;
i. dès juillet 2019, Western avait contacté un autre entrepreneur en charpentes, lequel a par la suite été engagé pour réaliser le projet;
j. à la résiliation du contrat, Rumpel a envoyé une facture pour les travaux effectués jusqu’à cette date à Western, qui a refusé de payer.
Rumpel estime qu’une obligation contractuelle a été formée au moment où Western a accepté son offre officielle, cette acceptation lui ayant été communiquée verbalement par Western.
Western estime que les « conditions préalables » du contrat n’ont jamais été remplies et que Rumpel n’a jamais accepté la proposition de Western de façon suffisamment officielle avant qu’elle ne soit révoquée.
La loi :
Le tribunal a pris en considération une décision rendue par la Cour suprême du Canada en 2007, selon laquelle :
L’appel d’offres est un mécanisme par lequel le propriétaire propose d’examiner les soumissions qu’il reçoit et, s’il en accepte une, de conclure un contrat pour la réalisation du projet. Le soumissionnaire accepte cette offre en déposant une soumission conforme aux exigences formulées dans les documents d’appel d’offres. Les obligations et droits contractuels des parties au contrat A sont dictés par les conditions prévues expressément ou implicitement dans les documents d’appel d’offres.
La soumission constitue également une offre en vue de la formation du contrat B, c’est‑à‑dire le contrat portant sur la réalisation du projet visé par l’appel d’offres. Si elle est acceptée, les conditions de l’appel d’offres et les modalités de la soumission deviennent les conditions du contrat B.
Le tribunal a également pris en compte une décision de la Cour d’appel de la C.-B. selon laquelle un préavis formel d’adjudication de contrat n’est pas exigé et les circonstances entourant l’affaire doivent être examinées, notamment pour savoir si l’acceptation de la soumission était une condition préalable, quel a été le comportement des parties et si une « lettre d’intention » a été fournie.
Le jugement :
Dans ses conclusions, la Cour a estimé que :
a. le « dossier d’appel d’offres » fourni par Western à Rumpel envisageait l’adjudication du contrat sous réserve de la satisfaction de certaines conditions et constituait une « offre », car les principales modalités étaient stipulées; et que
b. Western avait communiqué son « acceptation » de la soumission de Rumpel :
i. en déclarant vouloir « aller de l’avant » avec Rumpel;
ii. en se réunissant avec Rumpel sur le chantier du projet à plusieurs reprises pour discuter de la disponibilité des charpentiers, des sous-traitants et des échéances; et
iii. en raison du comportement de Western après « acceptation » du contrat et jusqu’au moment de sa révocation, qui aurait renforcé la conviction d’une personne raisonnable selon laquelle la soumission de Rumpel avait été acceptée.
La Cour a estimé qu’en révoquant le contrat avec Rumpel, Western avait failli à ses obligations contractuelles. Par conséquent, la Cour a jugé que Rumpel avait droit à des dommages-intérêts correspondant à la perte de profits et aux coûts directs réels.
Les enseignements tirés :
• Bien qu’il soit préférable de communiquer clairement les choses par écrit, les entrepreneurs et professionnels de la construction devraient être conscients du fait que leur comportement peut être sujet à interprétation par l’autre partie, en particulier lorsqu’il y a des contrats en jeu.
• Les entrepreneurs et professionnels de la construction devraient également envisager d’inclure dans leurs contrats des clauses permettant une certaine flexibilité par rapport aux échéances, car le plus souvent, les chantiers prennent du retard.
• Lorsqu’il y a un différend, il vaut mieux contacter dès que possible un avocat, qui vous aidera à comprendre quels sont vos droits et obligations au regard de la loi, à gérer votre communication et à préserver votre accès aux voies de recours juridiques potentielles. ▪
Cet article a été rédigé par Liam M. Robertson, avocat exerçant le droit de la construction au sein du cabinet Kuhn LLP. Cet article est uniquement destiné à fournir une orientation et ne prétend en aucun cas couvrir toutes les situations. Pour les situations particulières, il est important d’obtenir un avis juridique. Si vous avez des questions ou commentaires sur cette affaire ou d’autres questions relatives au droit de la construction, veuillez nous appeler au 604-864-8877 (Abbotsford) ou au 604-684-8668 (Vancouver).
Le lecteur québécois comprendra que la présente traduction française a été établie dans le contexte du régime de la common law et qu’il doit consulter un juriste pour procéder aux adaptations exigées le cas échéant par le droit civil québécois.