La main-d’oeuvre, la chaîne d’approvisionnement en matériaux et l’inflation demeurent en tête de liste des préoccupations, mais de nouveaux chantiers d’infrastructure et le soutien du fédéral sont annoncés
par Robin Brunet
À certains égards, l’année 2023 se présente comme l’année 2022 pour le secteur canadien de la construction en ce qu’elle pose le problème de l’embarras du choix. Ce choix consiste en une vaste gamme de grands chantiers qui, dans la plupart des cas, ont été lancés l’an dernier. Le problème de l’embarras qui se pose – ou le défi dirions-nous aussi –, c’est la question de savoir si la main-d’oeuvre sera suffisante pour tout ce travail.
Or, les circonstances dans le monde de la construction diffèrent à d’autres égards de celles de 2022. Par exemple, les prix des matériaux sont en train de se stabiliser après avoir connu des augmentations fulgurantes, et l’on espère d’ailleurs qu’ils vont se mettre à baisser au fil des mois. En outre, l’inflation galopante, contrairement à l’année dernière, entraîne un ralentissement du marché résidentiel qui, jusqu’à maintenant, avait été extrêmement actif.
Mais c’est d’abord et avant tout la question de la main-d’oeuvre qui préoccupe le plus les leaders du secteur. On retrouve en premier lieu les projets d’Ottawa pour la réparation, l’entretien et la remise à neuf des infrastructures en parallèle avec les projets de construction axés sur la résilience climatique de l’avenir – à un moment où le domaine de la construction éprouve déjà des difficultés à combler les 81 000 postes vacants dans le secteur d’un bout à l’autre du pays.
Si l’annonce, l’an dernier, par le gouvernement fédéral de l’arrivée au Canada de 500 000 immigrants par année d’ici 2025 est bien accueillie, ce n’est encore là qu’un début selon l’Association canadienne de la construction (ACC). L’ACC demande à Ottawa de moderniser sa politique en matière d’immigration et son système de points d’appréciation pour mieux reconnaître les ouvriers et les travailleurs dont la spécialité est recherchée ; elle demande aussi que le fédéral travaille avec les provinces pour veiller à ce que les programmes de mise en correspondance des compétences soient suffisamment financés et soutenus, et que le Programme des travailleurs étrangers temporaires soit mis à jour.
La présidente de l’ACC, Madame Mary Van Buren, fait remarquer que le départ à la retraite des travailleurs plus âgés ajoutera au problème « si l’on ne prend pas dès maintenant des mesures appropriées pour reconstituer la main-d’oeuvre au Canada ». Elle affirme en outre que « l’actuel système de points d’appréciation du ministère fédéral de l’immigration ne favorise pas les métiers : beaucoup de nouveaux arrivants ne réussissent pas à trouver du travail dans leur domaine de spécialité. Nous devons pouvoir employer leurs compétences et leur expérience au travail et obtenir l’accélération du processus de reconnaissance de leur formation et de leurs titres professionnels ».
Ian Cunningham, président du Council of Ontario Construction Associations (COCA), affirme au sujet des recrues de chez nous « qu’il sera très difficle de les former suffisamment rapidement pour répondre à la demande ». C’est pourquoi, de l’avis de M. Cunningham, l’exécution des travaux d’amélioration des infrastructures soutenus par Ottawa – ainsi que bien d’autres chantiers – pourrait être plus lente que souhaitée.
Cela dit, l’Ontario donne néanmoins un bon exemple de grands chantiers qui progressent normalement. M. Cunningham cite la ligne Ontario et le pont international Gordie-Howe, deux projets parmi une douzaine de grands chantiers qui ont été très actifs en 2022 et qui continueront de l’être en 2023. La ligne Ontario est un tronçon de 15,6 km de métro qui permettra de se déplacer plus rapidement et plus facilement à Toronto et au-delà. Le pont international Gordie-Howe, en construction depuis 2019, reliera Windsor à Detroit ; la construction des tours du pont a été achevée récemment. Une fois que la structure complète sera terminée en 2024 au coût de 5,7 milliards de dollars, ce sera le pont à haubans le plus long en Amérique du Nord : 0,53 mille (0,85 km). « Ce que j’essaie de dire, c’est que toutes les régions de la province sont occupées par de grands chantiers », précise M. Cunningham.
Il en va de même pour les autres provinces. Sean Strickland, directeur général des Syndicats des métiers de la construction du Canada (SMCC), indique que « deux grandes usines de fabrication de batteries pour véhicules électriques se mettent en place : une en Ontario et une au Québec. En Saskatchewan, un grand chantier de mise en valeur de la potasse s’organise présentement. En Alberta, on compte toute une gamme de nouveaux chantiers de séquestration du carbone. En Colombie-Britannique, les travailleurs s’affairent à de nombreux chantiers de voirie et à un grand projet de prolongement de la ligne du SkyTrain ».
En fait, pour le SkyTrain, ce sont deux grands projets de prolongement qui nous intéressent : le premier, un prolongement de 5,7 km de la ligne Millennium (avec six stations souterraines) qui est censé être inauguré en 2026 ; sur le chantier Surrey-Langley du SkyTrain, la ligne Expo sera prolongée sur une longueur de 16 km jusqu’à Langley.
L’activité citée par M. Strickland pour l’Alberta émane du programme Emissions Reduction Alberta, qui engage 40 millions de dollars du fonds d’innovation technologique et de réduction des émissions de la province pour onze chantiers totalisant une somme de 194 millions de dollars. En produisant les résultats escomptés, ces chantiers devraient donner lieu à vingt milliards de dollars d’investissements en immobilisations et à la création de milliers d’emplois.
En ce qui concerne la Saskatchewan et la potasse, les travailleurs de la mine Jansen avaient terminé en novembre l’excavation et le revêtement des puits de mine de 1 000 mètres de profondeur, dans le projet le plus ambitieux du genre dans la province. BHP, propriétaire de la mine, souhaite accélérer les travaux sur le chantier de 5,7 milliards de dollars pour pouvoir commencer l’extraction de la potasse en 2026.
M. Strickland croit, comme Mme Van Buren et M. Cunningham, qu’il faut reconstituer la main-d’oeuvre au Canada. « Nous intégrons présentement 100 000 nouveaux apprentis chaque année, mais nous devrions faire mieux. Il faut aussi soutenir les apprentis en établissant des exigences minimales en leur faveur dans les contrats de travail. »
M. Strickland reste d’un optimisme prudent quant aux progrès réalisés jusqu’à maintenant. « En travaillant avec Ottawa à un processus d’immigration accéléré, nous avons réussi à obtenir des opérateurs d’équipements lourds en 2022, fait-il remarquer. En plus, la Colombie-Britannique possède un programme qui pourrait aider à former une nouvelle génération de travailleurs canadiens de la construction. Ce programme pourrait aussi être repris dans les autres provinces. »
M. Strickland a en tête BC Infrastructure Benefits (BCIB), société d’état chargée de diligenter l’entente sur les avantages pour la collectivité [Community Benefits Agreement (CBA)] pour des chantiers d’infrastructure publique précis. L’objet de BCIB consiste notamment à mobiliser et à encourager la constitution d’une main-d’oeuvre spécialisée et diversifiée qui puisse travailler en toute sécurité. BCIB est l’employeur de tous les travailleurs des chantiers CBA et veille à l’embauche en priorité et à compétences égales des résidents de la localité, des Autochtones et d’autres groupes sous-représentés. BCIB est en outre responsable de la formation, de la mise en valeur du potentiel et du soutien aux travailleurs.
Malgré toutes leurs inquiétudes, les dirigeants d’associations de la construction sont relativement optimistes et croient que leur secteur peut répondre aux besoins des promoteurs immobiliers dans le public et le privé. « Notre secteur a toujours connu et connaîtra toujours son lot de difficultés, affirme M. Cunningham. Mais au final, nous sommes des débrouillards. Et je suis toujours ébloui par ce qui peut être fait et ce qu’on réussit à faire. » ▪