par Matthew T. Potomak and/et Liam Robertson, Kuhn LLP
L’affaire récente Shaheen Custom Homes Ltd. c. Brennan, 2022 BCSC 716, est un exemple de la situation dans laquelle peuvent se retrouver propriétaires, constructeurs, sous-traitants, et toutes autres personnes associées, quand ils ne tiennent pas leurs dossiers de façon appropriée.
Les faits
L’affaire concerne un constructeur d’habitations, Shaheen Custom Homes Ltd. (plus loin, Custom Homes), et les propriétaires d’une maison qu’il a construite pour eux.
En janvier 2017, les propriétaires signaient un contrat à prix coûtant majoré pour un budget tout compris de 267 890 $. Les propriétaires étant bricoleurs et économes, le contrat tenait compte du fait qu’ils feraient eux-mêmes une partie des travaux de construction.
Comme il s’agissait d’un contrat à prix coûtant majoré, le montant incluait tous les matériaux, la main-d’oeuvre et les services, ainsi que les frais de 18 % du constructeur Custom Homes.
Le différend
Les propriétaires avaient jusque là réglé sans problème tous les décaissés progressifs qui s’élevaient à plus de 214 000 $. Mais ils avaient des doutes concernant le décaissé le plus récent de 26 789 $, que les propriétaires estimaient élevé étant donné qu’il ne restait à effectuer que les travaux pour l’entrée d’auto, la terrasse arrière et les balustrades.
Les propriétaires se posaient aussi des questions sur certains postes budgétaires. Custom Homes avait à l’occasion actualisé les coûts et des dépassements avaient ainsi été repérés pour certains éléments comme la somme de 25 000 $ pour un système CVCA dont le prix avait d’abord été fixé à 16 000 $. Les propriétaires soupçonnaient aussi que Custom Homes leur facturait des travaux exécutés sur d’autres chantiers.
C’est ainsi que les propriétaires ont réclamé des copies des factures et des frais demandés par Custom Homes. Autrement dit, les propriétaires voulaient vérifier le détail des frais facturés dans le cadre du contract en question.
En mars 2018, Custom Homes a fait parvenir aux propriétaires un budget révisé, sans ventilation des coûts, sans factures ni chèques pour confirmer ses dires. Les propriétaires ont alors refusé de faire quelque autre paiement que ce soit sans les justificatifs associés aux montants facturés.
Custom Homes a ensuite intenté des poursuites contre les propriétaires pour défaut de paiement et les propriétaires ont à leur tour déposé une demande reconventionnelle relativement à la somme prétendue en souffrance dans le cadre du contrat.
Le jugement
À la fin de 2019 et au début de 2020, Custom Homes a présenté des documents pour confirmer les factures et des courriels pour ses employés.
Selon le juge, le fait que les propriétaires aient refusé de régler la dernière facture ne constituait pas, dans ce cas, une répudiation de contrat mais plutôt, et bien au contraire, l’expression des efforts déployés par les propriétaires pour payer ce qui était véritablement dû.
Le juge a établi que Custom Homes avait l’obligation générale de tenir des comptes et des dossiers appropriés. Les tribunaux ont déclaré que cette obligation est nécessaire pour que les entrepreneurs puissent déterminer ce à quoi ils ont droit, et aussi pour que les propriétaires sachent ce qu’ils paient.
Le juge a constaté que Custom Homes n’avait pas de souvenir précis ou fiable concernant pratiquement tous les différends que les propriétaires ont spécifiquement soulevés sur les comptes. Le juge a aussi noté que Custom Homes n’avait pas réussi à fournir quelque détail comptable que ce soit qui aurait été adéquat des frais de construction, si ce n’est que vers la fin du procès.
Bref, le juge a déclaré que Custom Homes avait lamentablement failli à ses obligations concernant la tenue de comptes et de dossiers appropriés. Par conséquent, le tribunal a réduit de 8 167 $ à 5 150 $ la somme supposément due dans le cadre du contrat et a ordonné aux propriétaires de la payer.
Leçons à tirer
Bien que le tribunal n’ait pas dans cette affaire examiné précisément les arguments d’équité et de justice, ils pourraient sans doute servir comme défense si l’entrepreneur ne tient pas ses dossiers de façon appropriée. Par contre, il ne faudrait pas conclure de ce jugement que chaque fois qu’un entrepreneur tient mal ses dossiers il y aura forcément réduction du prix du contrat. Cela dit, si l’entrepreneur n’a pas en mains des dossiers appropriés, il y a lieu de faire appel à des avocats d’entrée de jeu pour aider à planifier d’autres moyens de démontrer que les propriétaires en ont eu pour leur argent, et notamment par le recours à des rapports d’experts.
En outre, il faut savoir que les entrepreneurs ont le devoir implicite de tenir des comptes et des dossiers appropriés dans le cadre de contrats à prix coûtant majoré. Si l’entrepreneur ne tient pas de comptes appropriés, il pourrait en découler d’autres problèmes, comme l’annulation d’une demande de privilège ou l’abandon d’une réclamation pour sûreté contractuelle. ▪
Le présent article a été rédigé par Liam Robertson et Matthew T. Potomak, avocats, qui travaillent dans le domaine du droit de la construction au cabinet Kuhn LLP. L’information qu’il contient constitue simplement un guide et ne s’applique pas forcément à tous. Il est essentiel que vous consultiez un avocat qui examinera votre cas particulier. Pour toute question ou observation sur le cas présenté ici ou sur toute autre cause juridique liée à la construction, n’hésitez pas à communiquer avec vous au 604-864-8877 (Abbotsford) ou au 604-684-8668 (Vancouver).
Le lecteur québécois comprendra que la présente traduction française a été établie dans le contexte du régime de la common law et qu’il doit consulter un juriste pour procéder aux adaptations exigées le cas échéant par le droit civil québécois.