Avec la baisse de l’occupation des immeubles à cause de la COVID-19, les travaux de modernisation et d’entretien sont à la hausse.
par / Jessica Kirby
Travailler de chez soi, c’est comme la vinaigrette au fromage bleu, la trigonométrie et les films de Stephen Segal — ou bien vous en raffolez, ou bien vous détestez… et personne ne peut vous faire changer d’idée. Même avant la crise de COVID-19, les gens qui avaient l’expérience du travail à la maison et au bureau avaient déjà prêté allégiance à l’une ou à l’autre des deux formules; comme la crise sanitaire a obligé plus de 70 pour cent de la population active canadienne à découvrir à quel point on peut être productif avec un portable sur un coin de table de cuisine, il y a encore plus de gens maintenant qui se sont fait une opinion sur la question.
Voilà un an, les propriétaires d’immeubles commerciaux croyaient que, comme cela a été le cas pour d’autres périodes de ralentissement récessionniste, les rumeurs selon lesquelles le télétravail était arrivé pour rester étaient fausses et que, une fois l’effet de nouveauté passé, les travailleurs réintégreraient avec bonheur leur cubicule, enchantés de revoir leurs collègues et de prendre l’ascenceur — plutôt que d’avoir à contourner des obstacles de pièces Lego et de céréales Cheerios sur la moquette — et de reprendre leur travail normalement.
Eh bien, non. Bien que le Canada ait déjà vu des cas où des travailleurs étaient relégués à un bureau à la maison en attendant de rentrer au travail, il ne s’agissait pas de la génération X, de milléniaux ou de la génération Z, qui, eux, s’y connaissent en technologie, prennent leur destinée bien en mains, recherchent l’équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle, et dont les sondages nous disent qu’ils préférent la fenêtre de leur salon plutôt que celle d’un bureau de coin pour la pause-repas. D’après une enquête Gallup, la majorité des télétravailleurs est constituée de milléniaux, soit 52 %; 29 % sont de la génération X et 17 % sont des baby-boomers. Presque la moitié de tous les milléniaux, soit 46 %, travaille de la maison et 74 % de ces employés ne veulent pas retourner au bureau cinq jours semaine.
Au cours des douze derniers mois seulement, le nombre des postes permanents en télétravail est passé, selon certaines études, de 8 à 35 % au Canada et aux États-Unis, et entre environ 35 et 40 % des emplois dans les deux pays peuvent être exécutés à la maison. Ce qui est particulièrement remarquable d’après un sondage mené pendant la crise sanitaire auprès de 5 221 professionnels en mode de télétravail répartis dans 31 pays, c’est que 77 % des répondants ont déclaré avoir été autant sinon plus efficaces à la maison qu’au bureau et que 86 % ont déclaré avoir l’intention de poursuivre en télétravail dans une certaine mesure du moins après la crise.
Que cela signifie-t-il pour les immeubles commerciaux situés dans les centres urbains ? D’après un article publié dans McKinsey et intitulé Commercial real estate must do more than merely adapt to coronavirus [L’immobilier commercial doit aller au-delà de la simple adaptation au coronavirus], la distanciation physique a infléchi directement la façon dont les gens occupent l’espace physique et interagissent avec, et l’éclosion virale a eu comme impact de réduire la demande de plusieurs types de locaux, et probablement d’ailleurs pour la première fois de l’histoire moderne… Les propriétaires et exploitants d’immeubles, toutes catégories confondues ou presque, envisagent plusieurs effets potentiels à long terme de la crise du coronavirus et considèrent les changements nécessaires qui en découleront vraisemblablement.
Parmi ces changements, citons le renversement de la tendance favorable à la densification et aux aires ouvertes. Et, ce qui est plus important encore, c’est qu’il est possible que les autorités de santé publique aient de plus en plus recours à des modifications des codes du bâtiment pour limiter le risque lié à de futures crises sanitaires, ce qui pourrait avoir une incidence sur les normes de CVCA, sur l’aire minimale par personne et sur la superficie des espaces fermés, d’après cet article.
L’histoire du bouleversement nous apprend que les entreprises qui n’arrivent pas à innover sont aussi les premières à faire naufrage (rappelez-vous le cas de Blackberry). Ceci signifie que de simples changements dans les méthodes de travail ne suffisent pas pour les propriétaires immobiliers. Cette tendance suppose des répercussions importantes sur la façon dont les propriétaires immobiliers seront appelés à innover pour rester concurrentiels; l’essentiel, c’est qu’on peut y voir une fenêtre ouverte sur des occasions en or pour des travaux de modernisation et d’amélioration de l’efficacité énergétique. Et ne vous y trompez pas : ce seront les Steve Jobs de l’immobilier qui saisiront ces occasions importantes et appelées à durer.
Le marché de la rénovation et de la modernisation est considérable pour les entreprises de construction au Canada, plus particulièrement celles qui sont associées à un mandat en efficacité énergétique. En fait, avec le télétravail et l’exode des locaux qui a créé un vide propre à être comblé par l’innovation, la demande en faveur de l’efficacité énergétique et de la qualité de l’air intérieur augmente. Même les personnes en télétravail font avancer la cause parce qu’elles sont davantage conscientes des conditions ambiantes – température, qualité de l’air, ventilation – et elles vont avoir des exigences de qualité à leur retour dans le lieu de travail. Selon l’Institut international du développement durable (IIDD), ces préoccupations forment une conjoncture favorable pour améliorer l’efficacité énergétique et réduire les émissions tout en offrant aux occupants des bâtiments plus sains et plus confortables.
Les objectifs d’efficacité énergétique au Canada financés par le gouvernement et l’attention portée aux changements climatiques à l’échelle internationale alimentent cette tendance. Pour l’instant, les programmes d’efficacité énergétique destinés aux propriétaires de résidences au Canada donnent lieu à des économies d’énergie de l’ordre de 10 à 20 pour cent et concernent le remplacement des appareils de traitement d’air, l’amélioration de l’éclairage, la protection contre les courants d’air et les technologies intelligentes. Or, pour réaliser des objectifs énergétiques ambitieux, les économies d’énergie devraient se rapprocher des 30 à 50 pour cent, ce qui signifie qu’il faudrait pour y parvenir améliorer l’enveloppe des bâtiments et installer des thermopompes.
Le Canada affiche jusqu’à maintenant un rendement plutôt moyen relativement à ses objectifs énergétiques ambitieux et l’élan prend tout juste de l’ampleur. Brendan Haley, directeur des politiques auprès d’Efficacité Canada, a déclaré à l’IIDD que son organisme venait de publier un deuxième bulletin de classement des politiques d’efficacité énergétique des provinces à la fin de 2020; c’est la Colombie-Britannique qui a obtenu les meilleures notes pour des initiatives comme Energy Step Code tandis que l’Île-du-Prince-Édouard était en tête pour l’ensemble de ses programmes d’efficacité énergétique et plus particulièrement pour son programme de dépenses destiné aux ménages à faible revenu et aux Autochtones. Cela dit, même les étoiles de l’efficacité énergétique au Canada traînent de l’arrière par rapport aux grands gagnants américains, comme le Massachusetts, la Californie et le Vermont.
L’an dernier, le Canada s’est associé à d’autres organismes gouvernementaux comme le Programme onusien pour l’environnement et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, afin de faire partie du Club des trois pour cent, qui s’est engagé à réaliser trois pour cent d’améliorations globales annuelles en matière d’intensité énergétique — cadence recommandée par l’Agence internationale de l’énergie pour atteindre les objectifs climatiques de l’accord de Paris. Le Canada réussit à améliorer son efficacité énergétique à raison d’environ un pour cent par année, ce qui signifie que les efforts doivent tripler.
Mais tout espoir n’est pas perdu. Selon un rapport du Conseil du bâtiment durable du Canada intitulé Une feuille de route pour les rénovations, les bâtiments déjà en place jouent un rôle critique dans l’avénement futur d’un Canada à faible intensité de carbone. Le rapport contient des recommandations pour la rénovation des grands immeubles qui contribueront à réduire les émissions de GES d’au moins 30 pour cent, soit 12,5 millions de tonnes, d’ici 2030, avec la possibilité d’atteindre une réduction de 51 pour cent ou 21,2 millions de tonnes.
Pour métamorphoser la crise de COVID en quelque chose de positif pour les générations à venir, les efforts en vue d’atténuer les changements climatiques doivent être associés à des objectifs d’économies précis et favoriser un processus plus rapide et plus productif pour la rénovation des bâtiments — et le temps presse pour lancer cet objectif ambitieux. Être plus productif ne signifie pas qu’il faille sabrer dans les budgets ou niveler par le bas; ceci signifie qu’il faut faire appel à des innovations dans la logistique, le financement, la transformation et les services pour augmenter la valeur des immeubles pour les propriétaires.
Ceci signifie aussi qu’il faut avoir recours à la technologie et aux innovations qui favorisent la productivité et le resserrement des codes du bâtiment tout en atténuant les défis que pose la diversité régionale au Canada. Et pour y arriver, il faut d’abord se résoudre à exécuter ces travaux à grande échelle — une échelle qui n’est possible que grâce à des changements considérables dans la façon dont les gens travaillent et dans les lieux où ils travaillent — et ce dans l’optique d’une démarche plus intégrée et rationalisée pour les rénovations liées aux économies d’énergie.
M. Haley se dit optimiste quant au plan de croissance de la Banque d’infrastructure du Canada, qui peut favoriser la création d’un marché financier pour les rénovations en matière d’énergie dans les grands immeubles et les résidences, et susciter la recherche de nouveaux moyens de moderniser les bâtiments afin d’améliorer l’efficacité énergétique à l’échelle et à la cadence voulues.
Quel est le but ultime ? Des changements durables, à long terme, qui favorisent et encouragent l’adoption de normes d’efficacité jusqu’à ce que les provinces s’engagent à atteindre la carboneutralité dans tous les nouveaux bâtiments.
Dans Policy Options, M. Haley dit souhaiter que l’échelle et l’envergure des actuels porte-feuilles d’efficacité énergétique dans les instances nord-américaines en tête de peloton soient bonifiées en vue de mettre en place des initiatives de relance économique pour des projets valables et prêts à démarrer, pouvant créer 175 000 emplois par année et faire augmenter le PIB annuel de 42,5 milliards de dollars.
« Pour bâtir une économie carboneutre, nous devons faire augmenter en flèche le nombre des rénovations importantes en un an, précise M. Haley. Ceci signifie des innovations dans les stratégies de programmes, les modèles d’affaires et les efforts pour mobiliser le financement. Nous devons déterminer comment passer de chantiers individuels à une démarche systématique qui permette des économies d’échelle. Dans le processus, nos marchés seront transformés pour que les produits et les concepts les plus efficaces — ceux qui maximisent notre confort et nous font économiser le plus d’énergie — deviennent la norme plutôt que l’exception. » ▪